12 Iran / sud-ouest

et Golfe Persique

 


novembre 2011

    YAZD

    Nous roulons tout l’après-midi et arrivons à Yazd à la nuit. Nous tentons de trouver une place à côté d’un hôtel, en centre-ville, histoire d’avoir une chance de capter une connexion en wi-fi… Abdul, accompagné de sa petite fille, fera mieux : il montera avec nous pour nous mener dans la rue de la principale mosqu
ée, celle du Vendredi, où il nous indiquera un bel emplacement, à l’abri des arbres, au calme (demain, c’est le «week-end», il n’y aura donc pas trop de remue-ménage...). Ce n’est pas tout : il nous emmène ensuite voir une séance d’entraînement de sport traditionnel (sorte de musculation au rythme des percussions et du chant du meneur) dans une pièce en sous-sol. Les hommes portent un pantacourt à motifs colorés et tenu par une ceinture de cuir. Ils évoluent en contre-bas, dans une sorte d’arène, et suivent les indications du chanteur et du percussionniste pour changer de mouvement (le son nous transperce les tympans car il est amplifié par un micro alors que la pièce fait 100 m2 à tout casser… Mais il paraît que les Iraniens aiment qu’on les entende lorsqu’ils chantent ou jouent de la musique…). A la fin, chacun à leur tour, ils viennent tourner au centre de l’arène le plus vite possible, question d’équilibre ! Abdul nous montre ensuite l’immense citerne souterraine en-dessous de la salle, puis nous montons sur les toits grâce à une échelle étroite et bien raide, où nous admirons les cinq  badgirs
(tours) du bâtiment ainsi que tout le quartier illuminé. On peut dire que notre découverte de Yazd est pour le moins inhabituelle ! Abdul et Kaniya rentrent chez eux, tandis que nous retrouvons notre cabane à roulettes. Un magasin de tapis est encore ouvert ; nous allons y faire un tour, histoire de nous «faire l’œil»… Finalement, c’est au cyber-café à côté du camion que nous consultons Internet : le coin est parfait ! Le lendemain matin, effectivement, l’endroit est calme. C’est à peine si nous distinguons les manifestants scander leurs slogans anti-américains au bout de la rue…
    Première étape des visites : la fameuse Mosquée Jameh (dite «du Vendredi»), à deux pas de là. Nous l’admirons rapidement : ses minarets atteignent 57 mètres de
haut, les plus hauts d’Iran. Mais nous restons un moment dans la cour à papoter avec Ahmed et Mohamed, deux Iraniens qui sont en train d’élaborer une méthode d’apprentissage du farsi (ou langue persane) et avec qui nous échangeons sur l’hospitalité des uns, la grande liberté des autres, tout ça… L’un d’eux nous donne une astuce informatique pour contourner les filtres qui nous empêchent d’accéder à certains sites internet, dont le nôtre (!), ce qui est bien précieux.
    Nous filons nous instruire un peu au Musée de l’Eau, où sont exposés de manière très pédagogique outils, accessoires, maquettes et photos concernant le fonctionnement des qanats*, ces canaux d’irrigation souterrains encore utilisés à l’heure actuelle. Nous admirons ensuite la vue sur le quartier depuis les balcons du complexe religieux Amir Chaghmar, sorte de façade à trois étages avec des balcons décorés, puis engloutissons de bonnes brochettes de poulet et viande hachée, et terminons avec des coupes de glace gargantuesques,
dont le parfum «vanille» est étrange : il sent plutôt l’eau de rose et nous ne sommes pas fans… Ceci dit, nous voilà ragaillardis ! A nous les ruelles de la Vieille Ville, plutôt désertes en ce jour de prière. Murs de pisé, portes anciennes en bois sculptés et bagdirs innombrables nous enchantent. Deuxième épisode de magasin de tapis, où, cette fois, nous allons jusqu’au bout de la négociation pour un tapis mi-velours, mi-kilim, qui nous plaît beaucoup. Evidemment, on nous offre le thé et chacun y va de ses arguments et de ses feintes, c’est assez rigolo ! Au passage, nous profitons du panorama sur la ville depuis la terrasse du magasin, puis poursuivons notre balade après avoir convenu de revenir ce soir avec les dollars pour récupérer la carpette. Suite du programme : l’ascension d’une colline en périphérie de Yazd pour accéder aux Tours du Silence Zoroastriennes (Dakhmeh-ye Zartoshtiyun) au sommet desquelles les dépouilles des morts étaient déposées pour y être dévorées par les vautours, plutôt que d’être enterrées. En effet, ces adorateurs du feu -et de la nature en général- considéraient qu’enterrer un cadavre polluait la terre… Là-haut nous faisons connaissance avec deux Françaises en vadrouille, mais résidant en Syrie pour y apprendre et pratiquer l’arabe. Elles nous rassurent sur l’accessibilité du pays, espérons que cela dure jusqu’au printemps, période à laquelle nous devrions traverser cette région… Comme nous avons pas mal tourné pour débusquer le site, c’est à la nuit tombée que nous admirons la vue sur Yazd, toute illuminée : plutôt chouette. En cavalant dans les caillasses, Amélie a réussi à choir et à se râper la paume des mains… Quelle cascadeuse, cette petite !...

    Pour couronner la journée, nous terminons par une halte au premier magasin de tapis où nous étions rentrés afin de comparer les prix et qualités entre les deux échoppes, et finalement, c’est là que nous allégeons notre bourse de quelques euros…. Babak est adorable, indépendamment de son talent de vendeur de tapis : il nous propose de nous garer dans la même rue, mais un peu plus près de son immeuble afin de nous faire bénéficier de sa connexion internet par wi-fi.  Ce qui devait arriver arriva : nous nous couchons au milieu de la nuit pour avoir trop surfé, et surtout essayé, mais en vain, de transférer nos photos pour que notre site puisse être mis à jour… Ah, la censure…

Au petit-déjeuner, nous testons la version « baguette » du pain iranien : un peu mou, mais pas si mal. (De toute façon, rien ne vaut une vraie baguette bien de chez nous, hein ?)

Nous mettons ensuite les voiles direction Shiraz, avec l’option «trois fois le tour de la ville pour en trouver la sortie», faute de panneaux indicatifs lisibles… Pour nous remettre le sourire à l’endroit, rien ne vaut un plein de 80 litres de gasoil pour 8 euros ! C’est en effet le tarif dont bénéficient les transporteurs routiers, et nous, lorsque nous parvenons à les amadouer pour qu’ils nous «prennent» sur leur carte professionnelle… Sinon, nous payons le litre un peu moins de 25 centimes d’euros : la ruine !


   PERSEPOLIS*

  
Une longue distance nous sépare de Persépolis et de Shiraz : nous roulons beaucoup et traversons des paysages de plaine désertique entourée de montagnes, et ponctuée de caravansérails ici ou là. En traversant Abarqu, on a même pu apercevoir une ferme forte en pisé avec des murailles et des tours très travaillées.C’est sous les nuages que nous découvrons le majestueux site de Persépolis. Dire que cette cité, dont les vestiges s’étalent sur une dizaine d’hectares, a été construite en deux siècles et a été la capitale de la Perse ! Et dire aussi qu’Alexandre le Grand, l’a faite entièrement brûler après l’avoir pillée ! C’est malin… Heureusement que la pierre résiste aux flammes ! Les sculptures, gravures, proportions des divers palais et tombeaux sont à couper le souffle. Nous devons pourtant écourter notre visite car la tempête de vent, sable et pluie approche…
* PERSEPOLIS (du grec ancien «la cité perse») était la capitale de l’Empire Perse Achéménide. Sa construction débute en 521 avant J.C., sur l’ordre de Darius 1er, et se prolonge pendant plus de deux siècles, jusqu’à la conquête de l’Empire par Alexandre Le Grand.

La prise et la destruction de la ville, en 331 avant J.C., annoncent la disparition du premier empire perse et le début de l’hellenisation  de celui-ci. Néanmoins, Persépolis restera par la suite un lieu de culte pour les différentes dynasties perses.


    SHIRAZ

    Shiraz n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres ; nous nous y installons, sur un parking en bordure de jardin public arboré, à deux pas de la citadelle Karim Khan. Nous parcourons, au cours de cette soirée, environ trois kilomètres rien que pour dénicher de la farine pour nos crêpes hebdomadaires (le rituel est devenu presque sacré…). Heureusement que les gens ici aussi sont d’un naturel adorable et aidant ! Un monsieur, sans doute retraité, très distingué, nous fait parcourir tout un tas de ruelles à la recherche de l’échoppe qui vendra le précieux sésame… Enfin nous trouvons notre précieuse poudre blanche, dans un supermarché un peu plus grand que ceux croisés en chemin ! Nous remercions mille fois notre guide (qui ne doit pas bien comprendre pourquoi nous nous réjouissons autant autour d’un paquet de farine…) et rentrons préparer nos galettes tant désirées. Inutile d’ajouter que nous les apprécions davantage que les dimanches précédents… Le lendemain est un jour férié : les musulmans accompagnent leurs amis et membres de leur famille qui partent en pèlerinage à La Mecque. Du coup, certains monuments sont fermés. Nous passons donc la matinée à préparer le contenu du prochain «coin des enfants» du site, ainsi que des mails à envoyer, car nous avons repéré un café internet ouvert jusqu’à 14 h. A peine avons-nous traversé la rue principale pour nous y rendre qu’une jeune femme nous accoste : Maryam est iranienne est souhaiterait papoter avec nous un moment. Elle nous accompagne jusqu’au «spot» Internet, nous aide pour nous faire comprendre auprès de la personne qui le tient (branch
ement de clé USB) et nous attend patiemment… Elle passe un coup de fil à l’un de ses amis, Kurosh, qui est étudiant en épidémiologie et qui aimerait nous rencontrer car il part pour Paris la semaine suivante et à des questions à nous poser sur la vie en France. Lui aussi vient nous attendre, puis nous rentrons tous ensembles au camion en parlant de la vie dans notre capitale. Kurosh et Maryam prennent l’apéro avec nous mais doivent partir… Qu’à cela ne tienne, Maryam propose de revenir le soir avec le dîner qu’elle aura cuisiné : trop chouette ! Après-midi studieuse pour cause d’évaluations (scolaires)… Maryam arrive à point pour récompenser ces enfants-là qui ont bien travaillé. Au menu : crudités à rouler dans du pain, ragoût de poulet au miel avec du riz, et gâteau marbré fait maison ! Maryam aurait aimé nous recevoir chez elle mais sa maman est décédée et elle vit avec son beau-père, ce qui la met dans une situation délicate qui l’empêche de recevoir ses amis chez elle (la raison doit être culturelle ?). En tout cas, nous sommes ravis d’être ainsi invités à domicile ! Elle propose de revenir le lendemain matin, après s’être renseignée par téléphone auprès d’une agence de voyage locale dont les Cyclope nous ont communiqué le numéro, afin de nous rapporter toutes les informations dont nous avons besoin concernant la traversée en bateau entre l’Iran et les Emirats Arabes Unis. C’est une vraie petite maman pour nous.
   Comme convenu, Maryam est au rendez-vous, avec toutes les infos. Elle nous évite ainsi une demi-journée de pêche aux horaires et aux tarifs, que nous pouvons du coup passer en sa compagnie, à nous balader dans Shiraz. Nous attaquons avec le Bazar Vakil, imposant et très beau, avec son plafond élevé et ses échoppes de tissus et de tapis et surtout, sa partie en extérieur, autour d’une placette ombragée, où l’on trouve des objets artisanaux tels que des petites boîtes en marqueterie, des bijoux, des jeux de société, des sacs et autres articles de maroquinerie. Au détour d’une ruelle, une grande place à ciel ouvert avec un bassin procure une belle respiration et nous donne à admirer un joli stand de tapis, sacs de voyage de nomades et décorations traditionnelles tissées avec du poil de chameau ou de mouton teint dans des couleurs très vives. Ensuite, après avoir traversé un petit passage couvert puis une immense cour avec un bassin, nous arrivons devant la Mosquée Vakil (ou Mosquée du Régent) dont les céramiques se teintent de rose et la salle de prière impressionne de par
ses colonnes torsadées et son minbar (ou chaire) de quatorze marches taillées dans la masse d’un seul bloc de marbre.
    Maryam nous a adoptés et a du mal à nous voir partir : elle voudrait que nous l’emmenions avec nous. Elle nous explique que pour la plupart des Iraniens, le principal objectif dans la vie est de travailler pour se nourrir et se payer un toit ; pas de place pour les loisirs et les hobbies. Alors, forcément, quand elle nous voit prendre le temps de découvrir le monde en famille, cela doit lui faire envie ! Un dernier repas informel pris ensemble dans notre cabane, puis nous nous séparons. Avec la promesse de nous envoyer des nouvelles par mail… Avant de quitter Shiraz nous allons admirer le magnifique jardin qui entoure le tombeau du célèbre poète Iranien vénéré par ses compatriotes : Hafez. Bassins, bougainvilliers, rosiers, carrés de verdure, et bien sûr, le tombeau de Hafez, abrité sous un kiosque de marbre et que les visiteurs viennent saluer et caresser du bout des doigts en récitant un verset du poète
disparu. Ensuite, nous nous jetons dans la circulation pour nous rendre à la Porte du Coran, en face de laquelle se situent des jardins suspendus. Nous y grimpons à la tombée de la nuit et admirons le panorama sur la ville illuminée.

   

    Le trafic s’est intensifié et nous mettons un moment à nous extirper de la ville… Nous faisons le plein d’eau devant une station de taxi, puis mettons le cap… au sud ! Nous longeons le lac Maharlu en spéculant sur la beauté de cette immense étendue d’eau au pied des montagnes. En réalité, il est asséché ! Pas de regrets de le passer de nuit. Nous bivouaquons dans une large rue d’un quartier résidentiel, plutôt calme. Thierry ne tarde pas à se faire inviter à boire le thé chez un riverain, avec les voisins. Il y en a un qui est un peu collant… Il viendra nous tirer du sommeil à 7 h 30 le lendemain matin pour que nous venions boire le thé chez lui avant qu’il ne parte au boulot ! Les enfants dorment encore, nous avons la tête «dans le seau»… Nous invoquons un délai supplémentaire… Une demi-heure plus tard, nouveau coup de clairon, pour nous annoncer cette fois qu’il doit se sauver : plus possible de boire le thé ensemble ! Dommage... Ajouté au contrôle de police à deux heures du matin, cela donne une nuit pas très réparatrice. M’enfin ! comme dirait l’autre…


 
  Le paysage est assez sobre : montagnes arides, plaines de cailloux, petits villages aux maisons de pisé. C’est reposant. Nous y trouvons tout de même une station de remplissage de gaz, où nous faisons faire le plein de nos deux grosses bouteilles de 13 kg, ainsi que du petit Butagaz, qui contient théoriquement 5 kg de gaz. Le gars, trop généreux, la gonfle à 9 kg, en recommandant à Thierry de ne pas la laisser au soleil, sinon « boum !! ». C’est rassurant, non ? Sachant que nous la transportant à l’intérieur du camion, Thierry la vide un peu, sous le regard amusé du remplisseur. Pendant ce temps, un camionneur attentionné à débarqué à l’entrée du camping-car avec son thermos et sa poudre pour nous proposer un café, tout
simplement. Il le sucre avec une sorte de sucre candi au safran, qu’Inès déguste avec gourmandise… Les bouteilles sont pleines et nous nous apprêtons à repartir, quand le père du remplisseur de gaz nous aborde afin de s’assurer que nous ne manquons de rien. Il propose aux enfants de venir cueillir, directement sur l’arbre, des clémentines, ce dont ils raffolent. On replie les tee-shirts pour en emporter le plus possible, et notre hôte en ajoute encore. Quelle gentillesse !


    Nous innovons pour le bivouac suivant : la ville de Darab ne nous inspire pas, et pourtant il commence à faire nuit et nous devons nous arrêter. Nous avisons une caserne de pompiers, un peu en retrait de la route très passante, et nous allons toquer à la fenêtre pour demander asile. Le pompier de garde ne voit aucun inconvénient à ce que nous stationnions sous son nez ; il propose d’ailleurs un thé à Thierry, qu’il aromatise avec le jus d’un minuscule citron : délicieux. Le lendemain matin, les pompiers veulent nous faire découvrir une source jaillissante dans la montagne toute proche et nous avons toutes les peines du monde à leur faire comprendre que nous préférons nous mettre en route pour atteindre Bandar-Abbas au plus tôt afin d’avoir le temps de faire toutes les formalités de la traversée en bateau avant la fin de notre visa. Ils insistent tout de même pour que nous prenions le temps de cueillir des oranges, vertes mais très bonnes, dans le verger attenant à leur caserne !


   BANDAR ABBAS
    Quelques oasis verdoyantes ponctuent le désert que nous traversons ensuite en direction du sud. C’est la première fois que nous apercevons des quantités importantes de détritus en bordure des rares villages que nous croisons. Peut-être a-t’on moins le souci de l’esthétique et de l’environnement dans ces coins un peu reculés où ne passe quasiment aucun touriste ? C’est qu’il fait chaud dans le sud ! Le soleil a beau avoir tiré son chapeau, il fait encore au moins 27° quand nous entrons dans Bandar Abbas. Le foulard, les manches longues et le pantalon vont être durs à supporter… Des dizaines de poids lourds sont garés en périphérie de la ville, attendant certainement le
prochain déchargement de ferry dont ils transporteront les conteneurs jusqu’au fin fond du pays, au nord notamment. Nous voulons absolument réserver nos billets de ferry ce soir, car demain, c’est vendredi et nous craignons de ne plus avoir de places à deux jours du prochain départ. Quelle bonne idée : la ville est immense, nous ne savons pas où nous adresser et, contrairement au reste du pays, peu de personnes parlent anglais… Finalement, on nous guide en voiture jusqu’à une agence, dont la préposée ne parle pas anglais non plus… Le temps que nous nous mettions sur la même longueur d’ondes et qu’elle comprenne ce que Sabine venait chercher, on sent que la démarche ne va pas être simple… Déjà, elle bloque sur nos noms, ne sachant pas lequel est notre nom de famille, lequel est notre prénom. Elle demande à Sabine son «father name», puis celui de Thierry. Sabine se retrouve à lui dessiner un arbre généalogique pour essayer de saisir de quel nom il s’agit… Bref, l’amalgame est complet. Bismillah ! Son ami arrive à l’agence et baragouine quelques mots d’anglais ; nous voilà un peu «désenglués». Nouveau rebondissement : elle s’adresse à une collègue d’une autre agence pour pouvoir éditer nos billets. Du coup, elle lui scanne nos passeports et attend des milliards de minutes (si ! si !) que l’autre lui transmette nos réservations par un fax qui a décidé qu’il prendrait son temps ce soir, juste pour nous… Enfin, dernière surprise : le prix ! Plus élevé que ce que nous avait annoncé Maryam (tout cela à cause de l’habitude qu’ont les Iraniens d’annoncer un montant en tomans, qui valent dix fois moins que les rials actuels… Nous aurions dû nous méfier, cela ne faisait pas cher du tout !) Bon, l’essentiel, c’est que nous ayons des places pour la traversée du lundi suivant, parce que le bateau d’après, c’était mercredi et nos visas auraient été périmés. Ceci dit, nous n’avons pas le billet pour le camping-car, que nous devrons aller acheter directement au port : beau programme en perspective !...
  
Une poignée de billets verts plus tard, nous sortons de l’agence et suivons le couple de l’agence à travers les immenses avenues illuminées de Bandar-Abbas, jusqu’au Parc Dowlat, en bord de mer. C’est là que nous comptons établir notre bivouac, sur les recommandations de nos copains Cyclope, qui nous ont précédés d’une semaine avant de traverser pour les Emirats. Au début, nous sommes un peu surpris de la teneur de leur «bon plan» car le parking est en bordure d’un énorme boulevard et surtout, il est bondé de jeunes et moins jeunes qui pique-niquent, écoutent de la musique à fond ou/et fument leur pipe à eau… Nous sommes un peu claqués et tenons le coup une petite heure, avant de prendre la solennelle décision d’aller voir un peu plus loin si la folie du jeudi soir (équivalent de notre samedi) est moins furieuse… Ouf ! Le parc s’étend sur quelques kilomètres le long de la côte, et tout au bout, s’éloigne de la route et est moins fréquenté. Il y a même un petit recoin qui nous attendait (les Cyclopes nous apprendront plus tard que c’est là aussi qu’ils avaient élu domicile) ; nous pouvons donc enfin envisager de plonger dans une petite sieste de la nuit à peu près paisible…
   

    Durant les quatre jours qui nous clouent ici, le rythme sera sensiblement identique : «mourrage» de chaud dès les premières heures du jour, traversées de la ville d’est en ouest (le long de la mer, ce qui nous permet d’apercevoir des échassiers patientant au ras de la surface pour attraper leur goûter, ainsi que des bate
aux de pêcheurs, simples hors-bords souvent jaunes, dont l’arrière remonte beaucoup pour protéger de la houle et des vagues) pour les démarches administratives qui durent des heures au port pour obtenir le billet de ferry du camping-car, et, aspect sympa du séjour, pique-nique à l’ombre d’un petit kiosque sur l’esplanade qui jouxte la plage puis jeux de ballons ou de badminton, plutôt en fin d’après-midi, à la lueur des lampadaires, quand les familles ont plié bagages. A marée basse, nous allons aussi patauger dans le sable mouillé et déranger les
petits coquillages qui creusent leurs galeries dans la vase, observer les pêcheurs (et les femmes entièrement dissimulées sous leurs étoffes) ramasser les poissons qui se sont fait prendre au piège de leurs immenses filets tendus sur le sable, happés par le courant descendant. Nous n’avons pas l’audace de nous baigner, d’une part parce que la plage est peu ragoûtante, et d’autre part par solidarité avec Sabine qui, si elle en avait vraiment envie, devrait rester habillée, même pour sécher sur le sable… Quoi de moins emballant que de s’étendre sur sa serviette au milieu des détritus, avec les vêtements qui vous collent et vous grattent à cause du sel ? D’ailleurs, hommes comme femmes ne nagent pas à proprement parler : ils se promènent à quelques mètres du rivage, tout habillés, tenant les enfants par la main et se changent dans les cabines des sanitaires une fois le bain terminé. Bref, malgré la chaleur étouffante et la frustration que cela implique, point de bain. Evidemment, dans notre journée-type, n’oublions pas la lessive, facilitée par la proximité des sanitaires et la possibilité d’étendre le linge discrètement le long du camping-car, à l’abri des regards. Des séances de classe s’insèrent également dans notre planning, et nous terminons notre journée, «bercés» par les crissements de pneus des petits jeunes qui expriment le peu de liberté et de loisir dont ils disposent en faisant les intéressants, musique à fond de préférence. En outre, il y a une sorte de discothèque- jardin de thé-bar à shisha (pipe à eau) nocturne à cinquante mètres de notre emplacement, qui nous tient éveillés jusqu’à minuit, heure exacte de la transformation du carrosse en citrouille et surtout de la fermeture de l’établissement ! Vous l’aurez compris, notre vie de villégiature est trépidante : vivement que l’on se sauve !

   

  
Nous nous accordons une excursion « hors planning régulier » en sautant dans un hors-bord pour aller découvrir l’île d’Hormuz, jadis dominée par les Portuguais. La traversée dure une demi-heure et l’on débarque sur un no man’s land carrément crado, où les chèvres s’affairent à grignoter les cartons et autres détritus abandonnés sur la chaussée (« mais du coup, leur lait, il doit sentir le carton !... » réalise soudain Amélie) et où les égouts se déversent directement dans la mer. Bienvenue à Hormuz ! En plus, le port est à au moins deux kilomètres du fort qui vaut le coup d’être visité et nous marchons donc en plein cagnard pour le rejoindre, ne pouvant nous permettre de nous payer le trajet sur une mobylette à trois roues avec banquettes car ayant dépensé tous nos rials iraniens en vue de notre sortie presque imminente du territoire. Au moins, nos enfants connaîtront le goût de l’effort... Aux abords de l’imposant bâtiment couleur ocre rouge, un petit gars juché sur un vélo trop grand nous indique où pénétrer dans le fort, à grands coups de «Mister ! Mister !». Saleh, une dizaine d’années, nous accompagne tout au long de notre visite et nous montre, au fur et à mesure, les endroits bien conservés qu’il ne faut pas rater : la citerne, l’église souterraine, le puits et enfin les tours ! La vue depuis là haut est magnifique : elle embrasse la mer à 360 degrés et laisse entrevoir la côte de notre chère Bandar Abbas au loin. Le fort est en cours de restauration, espérons que les habitants accompagneront ces travaux d’un effort en matière de
propreté … et de signalétique aussi ! Nous qui pensions passer la journée ici, nous remontons dans le premier hors-bord qui se présente et rentrons au bercail. Nous croisons des femmes aux costumes très colorés sous leurs foulards : pantalons bouffants de soie ou de satin, ajustés au niveau des chevilles et brodés de paillettes, foulards aux couleurs vives et aux motifs fleuris ou géométriques, voire masques de cuir (ou de tissu ?) cachant leur nez et leur bouche. On imagine les origines africaines de certaines, qui ont la peau plus mate et les yeux plus noirs ; quoiqu’il en soit, on les devine magnifiques !

    Notre dernier plaisir en Iran sera de préparer nos crêpes dominicales dehors, sous notre kiosque attitré. Nous ne nous étendrons pas sur les délais interminables du passage des douanes (notamment l’épisode du carnet de passage en douane pour le camping-car), de l’attente avant de charger le véhicule (anecdote croustillante : c’est le seul véhicule à embarquer ; au moment de franchir le pont, l’arrière racle car il y a trop de pente à cause de la marée, qui est haute. Les marins sont obligés de défaire toutes les amarres afin de reculer le bateau et d’amoindrir cette pente. Thierry les aide à installer des bastaings en travers afin de faciliter encore la manœuvre : nous sommes repérés...) et de pouvoir faire tamponner nos passeports pour enfin monter dans le ferry… Une journée, en tout !

Ne nous plaignons pas trop non plus : au cours de cette journée, des routiers qui patientent à côté de nous nous donneront deux énormes pastèques, un chou et des chocolats : les Iraniens sont définitivement un peuple adorable !

    Belle surprise une fois à bord : les plateaux-repas. Certes, nous avions assuré nos arrières en grignotant dans la salle d’embarquement, entre deux parties de cartes, mais il nous reste bien un petit creux pour le poulet-riz typique et le yaourt ! Ensuite, enroulage d’enfant dans les couvertures polaires –un monsieur cède même sa place à Inès pour qu’elle puisse s’allonger complètement !-  sortie des
doudous et ronflette, à l’unisson avec un des voisins, qui concourt en «hors catégorie»… A 6 heures du matin, les mirettes se décollent et admirent le lever de soleil sur la mer d’huile : c’est magique ! Seule Amélie parvient à dormir encore un peu, malgré le brouhaha qui s’installe. Deuxième surprise : la distribution du petit-déjeuner ! Le «barman», attentionné, s’assure d’ailleurs que nous avons bien été servis, nous les seuls touristes occidentaux du voyage. Thé, pain-galette, beurre et confiture de carotte nous donnent toute l’énergie nécessaire pour les paperasseries qui nous attendent à présent aux Emirats…