mai 2012
La côte de la Mer Noire
Le poste-frontière de Malko Tarnovo entre la Turquie et la Bulgarie est délabré ; à croire que personne ne passe jamais par là… Côté turc, mis à part le fait que la structure du portique où nos passeports sont contrôlés menace de s’écrouler sur notre tête, tout se passe avec amabilité et sourire. Côté bulgare, c’est plus froid… On entre en Europe… Bienvenue ! Première étape : le hangar de désinfection du véhicule (hors-service, mais on paiera tout de même la taxe s’y référant !). Puis vient le vendeur de vignette automobile, exaspéré d’office et qui ne nous adresse qu’un soupir en guise de réponse à nos questions (durée de validité de la vignette ? coût ?). Heureusement qu’un automobiliste turc passe au même moment et nous renseigne gentiment ! Enfin, l’apothéose : la route à proprement parler… On nous avait prévenus du mauvais état des routes bulgares, mais nous ne nous doutions pas que nous roulerions à 20 km/heure pendant les 50 premiers kilomètres dans ce pays !... C’est simple, pour éviter les nids de poule, on doit conduire au milieu de la chaussée, voire sur la voie de gauche ! Sans compter les branches trop longues des arbres qui bordent la route et que nous tentons d’éviter tant bien que mal : un vrai gymkhana ! Nous finissons par nous demander à quoi sert vraiment la taxe routière dont nous avons dû nous acquitter…
En ce qui concerne les paysages, en revanche, nous sommes gâtés en forêts multiples (les chênes aux troncs rectilignes sont impressionnants !) et en pâtures bien grasses, fréquentées par des chevaux en liberté. Il n’est pas rare de croiser des voitures à cheval, harnaché cette fois-ci, et qui transportent du bois ou de la luzerne fraîchement coupée. Quant aux maisons, elles suivent, pour la plupart, le même principe : fondations en pierre et étage en bois. Pour ce qui est des habitants, il faudra attendre de sortir de ce superbe Parc Naturel aux routes défoncées pour en croiser quelques-uns…
Au bout de trois heures de trajet plus que chaotique, nous arrivons à Kiten, petite station balnéaire sur la Mer Noire, qui est réputée pour sa plage de sable blanc et fin, en forme de fer à cheval. La saison n’a pas encore débuté, et le village est quasi désert… Nous parvenons à trouver un distributeur automatique pour nous munir de leva (monnaie bulgare), bien qu’il n’y ait rien à acheter par ici, pas même une miche de pain. On sent bien cependant que les touristes sont attendus pour bientôt, car beaucoup de commerces se refont une beauté : un coup de peinture, de nouvelles étagères, une terrasse en bois qu’on assemble… Au moins, nous ne gênons personne en nous installant en surplomb de la fameuse plage ! Martin et Thierry font d’ailleurs une séance de sciences face à la mer.
La deuxième ville du littoral que nous visitons est un peu plus animée : Sozopol affiche de très belles maisons traditionnelles, reliées par de mignonnes ruelles pavées, dans lesquelles les magasins de souvenirs sont ouverts et bien achalandés ! Au port, les bateaux de pêche en bois peint (blanc et bleu) attendent leurs propriétaires pour un tour en mer.
Etape suivante : Nesebar, dont la vieille ville est contenue sur une presqu’île reliée à la terre ferme par une passerelle. Après avoir pénétré à l’intérieur des remparts, nous nous promenons au hasard des ruelles pavées et découvrons une dizaine de petites églises en pierre blanche et brique, dont les arches sont rehaussées de coupelles en céramique verte. Le plus surprenant, ce sont les magasins de souvenirs, qui exposent des vestiges de l’ère communiste, tels que des chapkas en fourrure, des uniformes de l’Armée Rouge, des maquettes d’avions de combat soviétique, etc. Il y a aussi beaucoup d’étals de poteries traditionnelles, aux couleurs chamarrées.
Le lendemain matin, nous allons fouler les galets de cette étroite plage abandonnée et y ramassons d’énormes coquillages (assemblés sur un cordon, cela donne un magnifique collier de fête des Mères !), puis retournons au village nous garer. Nous marchons un gros kilomètres le long du rivage, en plein soleil et sous une chaleur écrasante (forcément, il est midi !), pour nous rendre au Palais d’été de la Reine Marie (de Roumanie). Cette villa à l’architecture alambiquée nous fait penser à la maison de Salvador Dali de Port Lligat, en Espagne : murs blancs, demi-niveaux, ameublement éclectique, recherche de confort, vue imprenable sur la mer et jardin botanique extraordinaire. Nous avons bien mérité notre salade favorite (tomate, concombre, maïs et thon) au retour dans notre cabane à roulettes !
Cap à l’ouest, au cœur de la Bulgarie Centrale
Changement de décor au cours de cette traversée vers Veliko Tarnovo : cultures intensives, tracteurs gigantesques (à faire rêver tous les petits garçons de la terre !), routes bordées de diverses variétés d’arbres (dont les tilleuls en fleur : un régal d’odeurs ! et troupeaux de moutons et de vaches «en liberté», menés par des bergers. Côté alimentation, nous avons dû nous résoudre à manger du pain de mie sous plastique, nous qui avons tant apprécié jusque là de pouvoir goûter aux différentes recettes, toutes plus délicieuses les unes que les autres (avec une préférence pour les galettes extra-fines d’Iran) … On trouve bien des miches à la mie dense, mais sans saveur aucune et toujours sous plastique ! En tout cas, nous n’avons pas vu de boulangerie. Par ailleurs, nous sommes drôlement déçus par les fameux «yaourts bulgares» (les yaourts brassés que l’on trouve en France) : beaucoup de ceux que nous avons goûtés étaient très liquides et amers. En fait, ce sera en Roumanie qu’ils seront délicieux, mais nous n’y sommes pas encore…
Nous devons nous résoudre à ne pas bivouaquer en pleine nature car plusieurs habitants nous ont mis en garde contre des chapardeurs qui rôdent dans les campagnes, là où la police ne passe pas très souvent… Dommage, c’était pourtant tentant ! Du coup, nous squattons plutôt les places de village, plus ou moins calmes. Pour faire vite (parce que nous serons bientôt en France alors que le site n’est carrément pas à jour et que ça va faire désordre…), la semaine dans la Bulgarie centrale ne nous a pas laissé de souvenirs impérissables, notamment à cause de la pluie incessante, mais aussi parce que les habitants ont été durs à appréhender : regard fuyant à peine on se croise, peu d’amabilité, indifférence…
Nous avons tout de même découvert de beaux endroits et de splendides monuments, tous plus ou moins de la même époque, celle du Renouveau National Bulgare (début 19ème siècle). Dans l’ordre :
Premier pépin «mécanique» : au réveil, Thierry découvre un pneu arrière dégonflé, qu’il regonfle le temps d’une éclaircie : même pas mal ! Nous avons prolongé notre séjour dans ce charmant village et ne le regrettons pas car, le troisième jour, il fait grand beau, ce qui nous permet de refaire un tour et d’admirer pleinement, à la lumière du soleil, toutes ces belles maisons. Nous passons même devant l’atelier du tissage (Amélie nous demande en chemin : «c’est où, la maison où on fabrique les tapis «en crayons»? (au lieu des tapis «en feutre»…) et visitons la mignonne église Ouspenie-Borogoditchno.
A la sortie du village, Martin apprend avec enthousiasme à changer une roue avec son père, puis nous voguons (c’est le terme approprié, après toutes ces précipitations !) vers de nouveaux horizons :
l’Eglise St-Nicolas-de-Boyana, un chef-d’œuvre de peinture religieuse du XIIIème s., préservé dans une église grande comme un mouchoir de poche, mais classée au Patrimoine Mondial de l’Unesco.
En remontant vers le nord-est, après avoir longé les montagnes couvertes d’arbres et les champs de colza, traversé d’immenses plaines cultivées et croisé quelques charrettes à cheval, nous atteignons Belogradchik, un village perché en haut d’une colline un peu spéciale : d’imposantes formations rocheuses dominent la ville et l’on peut visiter la forteresse Kaleto (construite par les Romains au Ier siècle avant J.C., mais toujours utilisée par les Ottomans, au XIXème siècle) qui épouse étroitement cette bizarrerie de la nature. Dégourdissage de jambes assuré et panorama à couper le souffle ! L’endroit nous plaît bien, alors nous y passons une matinée supplémentaire en partant nous balader dans la «forêt» de rochers, que Martin, Inès et Amélie se régalent d’escalader.
Vidin, dernière bourgade bulgare avant la Roumanie : on a hâte d’aller voir si, par hasard, de l’autre côté du majestueux Danube, les gens seraient plus souriants et le soleil moins furtif… En attendant, la promenade sur les quais du deuxième fleuve le plus long d’Europe (2850 km) est bien agréable, il est vrai.
Cette reprise de contact avec l’Europe nous a un peu chagrinés, car certains travers de notre société dite «civilisée» nous ont sauté à la gorge et nous avons souvent eu envie de rebrousser chemin pour retrouver la convivialité et le sourire des habitants des pays arabes ! Ceci dit, dans le même temps, nos enfants ont continué de nous émerveiller : Inès a pris de l’assurance et du plaisir à dessiner et elle nous a épatés par ses coups de crayon ; Martin n’a cessé d’inventer des machines extraordinaires, dont il nous a présenté les plans le matin, pendant notre câlin familial ; Amélie s’est mise à écrire plein de mots en écriture «attachée» après avoir appris à dessiner toutes les lettres correctement, et elle nous prépare des petits messages trop mignons à longueur de journée. Bien sûr, ils continuent à se houspiller et à jouer avec nos nerfs quand vient l’heure de mettre la table ou d’aller se doucher, mais finalement, c’est ça aussi, le Bonheur !