octobre 2011

   
Istanbul

    On nous avait indiqué une aire pour camping-car, à l’extérieur des remparts, mais quand nous avons réalisé qu’elle était située en bord de boulevard, à côté d’un jardin fréquenté par une drôle de faune, et sous un minaret, nous nous sommes dit que ce n’était pas le bon endroit pour bivouaquer trois jours de suite… Un peu têtus, nous sommes entrés dans la vieille ville et, après avoir manqué de rester coincés dans deux-trois ruelles étroites, nous avons enfin pu nous poser le long d’un trottoir plat, à l’ombre, dans une rue calme, à 300 mètres à vol d’oiseau de Sainte Sophie !  Le tenancier de la « guesthouse » voisine nous a tout de suite accueillis et proposé des chambres confortables et pas chères, et il a un peu déchanté quand nous lui avons expliqué que nous logions dans notre camion… Ceci dit, il n’a pas sourcillé lorsque nous lui avons demandé une connexion internet : Sabine a pu s’installer confortablement dans les canapés de la salle commune pour pianoter à sa guise le soir venu.

    Etant donc tout près du centre historique de cette magnifique ville (que Thierry et Sabine connaissaient déjà), nous avons pu nous balader à pied facilement et découvrir une partie de ses merveilles, parmi lesquelles :

    - La Mosquée Bleue, ses immenses minarets et sa cour impressionnante ;

    - Le Palais de Topkapi, ses cours successives, ses cheminées ottomanes, sa vue sur le Bosphore ;

    - Le quartier d’Eminönü, son marché aux épices, son Grand Bazar ;

    - La Citerne-Basilique  souterraine, ses colonnes et ses énormes poissons-chats ;

    - Sainte-Sophie, son architecture monumentale, ses calligraphies en arabe, ses lustres et ses fresques murales splendides ;

    - La balade en bateau sur le Bosphore, les bâtiments anciens sur ses rives, les luxueuses villas à flanc de collines, les pêcheurs sur leurs barques ;

    - Le Bazar de la quincaillerie et ses trouvailles ;

    - La Mosquée de Souleymane, envoûtante au sommet de sa colline (la préférée d’Amélie : « Souleymane, c’est mon copain ! »);

    - Le tranquille Bazar des Tapis, dans le quartier de Sultanhamet.


    Il y a aussi eu le «cassage de nez» aux portes du Consulat d’Iran (démarches interminables, à commencer par aller chercher un code dans une agence de voyage, puis s’inscrire sur Internet avec ce code, revenir au Consulat avec son numéro d’enregistrement et attendre au minimum trois jours pour obtenir les visas…). Nous avons lu entre-temps, sur le blog de deux cyclo-voyageurs, que les précieux visas pouvaient être facilement obtenus à Trabzon ; nous tenterons donc notre chance dans 1000 kilomètres !


  
Traversée de la Mer de Marmara

    Pour rejoindre Bursa, nous choisissons de prendre le ferry entre Istanbul et Yalova, à l’est de la Mer de Marmara, afin d’économiser notre gasoil, qui est hors de prix en Turquie (2,20 euros le litre !). Une fois débarqués, nous passons à Termal, petite bourgade thermale cachée dans la verdure, mais un peu déserte. L’employé de la poste est tellement heureux de voir des touristes qu’il offre aux enfants une vingtaine de cartes postales plus ou moins kitsch sur les thèmes comme la Fête des Mères ou la Saint Valentin : c’est adorable !

    A Bursa, construite sur une colline, nous visitons

- la Grande Mosquée, avec son bassin et ses fontaines aux ablutions installées à l’intérieur de l’édifice ;

- Le Bazar avec ses innombrables échoppes colorées, classées par type de bien vendu : le coin des chaussures, celui de la maroquinerie, celui des vêtements, des fruits et légumes, de la droguerie, etc. Nous achetons, pour goûter, un sachet de café turc…

- Les caravansérails, témoins du commerce bouillonnant sur la Route de la Soie.


    En route pour la Mer Noire

Nous bivouaquons au bord du lac d’Iznik, dans un champ d’oliviers paisible. Dans la ville de la céramique, nous sommes attirés par l’ancienne église Sainte Sophie, en contrebas de la route, toute en brique et désormais transformée en musée après avoir longtemps servi de mosquée. Puis nous
déambulons dans les allées du marché, qui bat son plein le jour où nous passons : la bonne occasion de faire le plein de fruits et légumes frais ! Les écoliers sortent de l’école, tous en uniforme. En face, nous admirons la Mosquée Verte (couleur de ses céramiques) puis nous dirigeons vers la Medersa Souleymane, où sont rassemblés des ateliers de peinture sur céramique et de faïence (carrelage, vaisselle, vases, …) dont la réputation n’est plus à faire. Des artistes nous laissent observer la manière si précise et si raffinée avec laquelle elles ornent les différents objets de ces motifs floraux bleu indigo et rouge, connus à travers le monde.


    Ensuite, nous mettons le cap sur la Mer Noire, en traversant les montagnes où la température descend sensiblement… L’autoroute que nous empruntons est impeccable. Nous sommes juste surpris de voir ces piétons traverser les six voies en slalomant entre les voitures qui roulent très vite… D’autres sont plantés sur le bord de la route, au milieu de nulle part ; nous comprenons au bout d’un moment qu’ils attendent le minibus, alors qu’il n’y a ni abribus, ni panneau… En revanche, l’état des routes départementales est plutôt aléatoire : nids de poule et accotements non stabilisés ont vite fait d’avoir raison d’un éventuel manque d’attention ! Mais il y a aussi les routes en construction ou en rénovation, c’est-à-dire, des chemins caillouteux et poussiéreux qui apparaissent soudainement, alors que la chaussée était bonne jusque là.

   

    En arrivant à Safranbolu, les collines arides prennent le relais ainsi que les infrastructures d’une industrie sidérurgique gigantesque. Fermez les écoutilles, fumée noire à l’horizon ! Pour ce qui est du village en lui-même, c’est un bijou : les maisons ottomanes en bois y ont été restaurées et lui donnent un charme fou. Les loukoums, fabriqués sur place, y sont délicieux : nous en goûtons plusieurs variétés et repartons avec une grosse boîte sous le bras. Heureusement que les enfants n’aiment pas ça ! Sur les trottoirs sèchent les cerneaux de noix, sur de grandes bâches : nous leur en prenons un sachet, parce que nous sommes de gentils parents ! Plusieurs maisons ottomanes, pas toujours en bon état, attirent encore notre attention sur le bord de la route qui mène sur le littoral, puis nous traversons d’immen
ses « tunnels » de platanes, avant d’atteindre Amasra, mignonne cité balnéaire sur la fameuse Mer Noire (qui, en fait, est plutôt « bleu-gris »). Nous suivons ensuite la route sinueuse du littoral pendant 300 kilomètres, surplombant les criques dentelées qui découpent la côte, croisant des femmes qui portent des fardeaux de bois plus gros qu’elles et manquant de percuter des vaches qui traversent la route sans regarder ! La chaussée est parfois en cours d’agrandissement, mais aucun panneau ne l’annonce, du coup, on se retrouve soudain sur un revêtement en terre et gravats un peu chaotique…

    Pour les bivouacs, nous réussissons sans mal à dégoter des petits coins tranquilles et il n’est pas rare qu’au réveil, des habitants viennent nous offrir des châtaignes, des noisettes, des figues et un sourire ! On ne peut pas dire que les Turcs du Nord soient très raffinés, ni dans leur manière de se vêtir, ni dans leur habitat, ni dans la mise en valeur de leur littoral (et de leurs plages, grisâtres et cracra, en particulier)… Cependant, bien qu’un peu rustres de prime abord, ils sont d’une grande gentillesse en règle générale. Néanmoins, en avançant vers le Levant, la situation se tend : la proximité des frontières géorgienne, d’une part, et arménienne, d’autre part, engendre un climat spécial, et plusieurs fois la police est venue nous demander de changer de place pour nous mettre sur un axe plus fréquenté, d’où elle pouvait aussi mieux nous surveiller ! Pour le calme et le côté sauvage du bivouac, il faudra repasser.


   Du littor
al de la Mer Noire, nous retiendrons donc :

    - la plage de Kurucaşile, les châteaux de sable dressés par les enfants, les chiens errants chipant une sandale d’Amélie pour montrer qu’ils voulaient jouer, les ateliers de charpente marine sentant bon le bois frais ;

    - un spectacle de dauphins en pleine mer – au moins sept ! – alors que n
ous déjeunons sur le bord de la route, vers Inebolu ;

    - la douzaine de chiens qui hurle à la mort à l’aube à l’appel du muezzin ;

    - Nejlâ qui attendait notre réveil depuis une heure devant le camping-car pour nous saluer, nous offrir figues et noisettes épluchées et nous faire visiter sa maison ;

    - Sinop, mignonne bourgade portuaire dans sa anse protégée par des remparts ;

    - les paysages de «l’intérieur», qui rappellent très fort ceux de notre cher Morvan français (plaines vallonnées, recouvertes de parcelles cultivées séparées par des haies de verdure) ;

    - les montagnes qui tombent à pic dans la mer ;

    - la ville de Samsun, qui n’en finit pas de s’étirer en longueur le long de la mer et qui a de sacrés airs de cité balnéaire européenne (allées paysagées, propreté) ;

    - le Cap Jason et son église-chapelle, au milieu de nulle part ;

    - la mignonne plage de Çaka, où nous pique-niquons sous une lourde chaleur, mais ne nous baignons pas, faute d’une mer engageante… Cela n’empêche pas nos bâtisseurs de châteaux de sable de laisser, ici encore, une marque d
e leur passage !

    - le consulat magique d’Iran à Trabzon : après que Sabine se soit fait tirer le portrait couverte du foulard de rigueur (un peu coloré, tout de même, sinon, c’est vraiment trop sévère !), nous déposons nos passeports, photos d’identité et formulaires de demande de visas à 11 h 45, auprès d’une charmante employée du consulat, qui presse d’ailleurs ses collègues, pour qu’ils enregistrent nos données avant la pause de midi, afin de pouvoir nous rendre nos papiers dans l’après-midi. Pendant ce temps, nous avons le loisir de nous balader le long des larges avenues et rues piétonnes de cette ville portuaire, construite sur une colline très pentue, de manger au restaurant, de faire trois fois le tour du quartier de la banque où nous devons émettre un virement au Consulat iranien pour payer nos visas et de jouer au square. Lorsque nous nous présentons au Consulat à l’heure indiquée, la personne est désolée car il y a un peu de retard et il nous faut patienter une demi-heure… Si elle savait que, pour nous, c’est comme un miracle d’obtenir ces visas dans la journée, sans souci et avec son sourire …

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Les plantations de thé de Rize, sous la pluie, mais chouette quand même : des rangées de petits dômes feuillus alignés les uns contre les autres, sur tous les flancs de la colline.
    - la recherche de gaz : nous ne voulons pas nous séparer de notre bouteille française car elle a les bons pas de vis, donc il nous faut trouver un magasin où l’on accepte de nous vendre seulement le contenu. Allez expliquer ça à un
marchand turc ne parlant ni français, ni anglais… Quand Thierry finit par être entouré de six badauds y allant chacun de son conseil, cela devient cocasse. Quand enfin ils comprennent, en voyant Thierry sortir ses tuyaux et raccords, qu’il s’agit de transférer le gaz d’une bouteille (turque) à une autre (la nôtre), ils refusent qu’il s’installe dans la cour. Nous sommes obligés de charger la bouteille et d’aller plus loin faire notre cuisine… C’est ainsi que, sur le bord d’une route de campagne, Thierry improvise son premier transfert de gaz en appliquant les conseils prodigués par notre voisin-voyageur Jean-Marc. Seul souci avec cette technique : l’impossibilité de vider entièrement la bouteille neuve. Du coup, pour ne pas gâcher, nous voyageons avec cette troisième bouteille à bord afin d’en utiliser jusqu’à la moindre goutte de gaz.
   
- La série de bronchites qui nous atteignent tous successivement, avec comme désagréments les quintes de toux nocturnes, les «dez» bouchés  et de la fatigue supplémentaire due à la bataille interne pour se débarrasser des «bicrobes» !
    -l’ambiance bizarre de la ville frontalière de Hopa, à cinq kilomètres de la Géorgie, où l’on attire beaucoup l’attention avec notre cabane à roulettes, dans cette bourgade qui grouille pourtant, mais où les femmes sont bien souvent des prostituées et les hommes des chauffeurs routiers en
transit… Sabine et les enfants restent donc discrètement calfeutrés dans le camion pendant que Thierry s’aventure dans un sombre bistrot pour y trouver une connexion internet ! Pour le bivouac, nous échouons dans un immense parking destiné aux poids lourds et à leurs chauffeurs pendant la fermeture du poste-frontière, en bord de mer, certes, mais pas franchement bucolique… D’ailleurs, le gardien qui prend la relève à 8 heures n’a pas l’air d’apprécier la liberté qu’a prise son prédécesseur en nous laissant entrer la veille : il nous « chasse » du parking dès que nous ouvrons les rideaux ! Du coup, nous nous réfugions dans la montagne couverte de plantations de thé pour prendre notre petit déjeuner tranquillement, loin de toute cette agitation.
    - les bivouacs dans les gendarmeries le long de la frontière avec l’Arménie : nous montons très vite en altitude et naviguons au milieu de la steppe semi-désertique. Les habitants vivent dans des maisons de briques assez basses, sans fenêtres (ils se protègent du froid) et élèvent du bétail (poules, moutons, vaches) dans des cours en terre battue un peu cracra. La pauvreté est palpable ! En plus de ça, il pleut et il fait froid. Pour passer la première nuit, nous avisons un lampadaire à l’entrée d’un village, Çamliçata, en face duquel il y a une épicerie encore ouverte. L’épicier nous assure qu’il n’y a pas de problème pour que nous nous installions là. Mais, deux heures plus tard, un gendarme en uniforme, fusil en bandoulière, main sur la gachette, vient nous demander de nous rapprocher de la brigade, car il pourrait y avoir des brigands dans le coin… C’est sympa de se soucier de notre sécurité comme ça, mais la route est très passante et leurs chiens ne cessent de japper ! De toute façon, une heure après, le même gendarme nous invite carrément à entrer dans la cour de la caserne pour y passer la nuit car une patrouille de la Police Nationale leur a fait la leçon : on ne laisse pas des étrangers dormir dehors par ici… Nous voilà chouchoutés. Le lendemain matin, un soldat nous sert même un bon thé chaud avant notre départ ! En fait, les relations entre la Turquie et l’Arménie voisine sont assez tendues, et nous faisons vite le lien avec la forte présence militaire dans la région. Par conséquent, le deuxième soir, nous mettons directement le cap sur la Jandarma du village pour y demander
l’asile. Moins hospitaliers, les gendarmes de Dagpinar nous assurent tout de même une petite surveillance de loin.

    - la neige au Col de Çam (2600 m), et les abris vraiment sommaires des bergers ;

    - les églises arméniennes du site d’Ani, perdu dans la steppe : derrière un mur fortifié, un immense champ aux limites abruptes (l’endroit est encerclé par un ravin profond de plusieurs dizaines de mètres) abrite les vestiges de la capitale jadis prospère du royaume d’Arménie, traversée en son temps par les voyageurs et les marchands qui suivaient la Route de la Soie. L’endroit est immense, alors nous reprenons des forces en picorant des biscuits salés et en croquant des bananes moelleuses, assis sur les restes d’une ancienne maison de village. Au hasard de notre balade, nous rencontrons un « petit papi » arménien, qui a parcouru plus de 400 kilomètres pour venir se recueillir sur ce site, alors que le territoire arménien est de l’autre côté du ravin… Mais la frontière entre ces deux ennemis est fermée ; il a donc dû la contourner en passant par la Géorgie !
    - la ville-garnison de Doĝubayazit, son camping et son Palais d’Ishak Paşa : le guide annonçait une «ville frontière à forte présence virile, où sont cantonnés de nombreux soldats et où les femmes sont rares dans les rues», mais en fait, nous découvrons une bourgade très animée par les jeunes qui déambulent dans les rues commerçantes, les mères de famille promenant sereinement leurs bambins, et les hommes, dont beaucoup n’arborent aucun uniforme. Tant mieux ! Cela rend la tâche plus facile et moins stressante pour Sabine, qui fait ainsi son lèche-vitrine sans souci, afin de trouver des pantalons «à manches longues» pour ses arsouilles. En effet,
voyant les températures dégringoler, elle se dit que l’unique pantalon que chacun a dans son placard ne sera pas suffisant pour affronter le froid, qui doit être là aussi dans les montagnes iraniennes… Avant la tombée de la nuit, nous filons visiter le superbe Palais du XVIIème siècle, qui domine la vallée du haut de son petit plateau entouré de falaises abruptes, avec le Mont Ararat en toile de fond. S’y mêlent les styles architecturaux selkoujide, ottoman, géorgien, perse et arménien : un bijou tout droit sorti d’un Conte des Mille et une Nuits ! En ce qui concerne le bivouac, nous ne cherchons pas la Jandarma, mais toquons au portillon du camping-aire de pique-nique de Mescit le Kurde et Bertil le Hollandais, qui se trouve au pied du Palais d’Ishak Pasha. Nous sommes reçus adorablement par ces deux compères, qui se plient en douze pour que nous puissions faire laver notre linge, la machine du camping étant cassée… Mehmet, un de leurs employés l’emmène carrément chez lui (le faire laver par sa femme…) et nous le ramène tout frais, tout sec, le lendemain matin ! C’est le grand luxe, surtout lorsqu’il s’agit des draps et que l’humidité empêche tout séchage à l’extérieur… Comme nous sommes dimanche, nous préparons la rituelle pâte à crêpes, en doublant les proportions, car nous recevons la visite inopinée d’Olaf et Martin, deux Allemands rencontrés à la sortie du Palais, et qui sont venus nous rejoindre à pied depuis la ville (5 kilomètres) pour continuer de causer. Soirée sympathique, bien que les enfants soient toujours un peu frustrés
de ne rien comprendre quand nous discutons en anglais…


 

7bis Turquie du nord et de l’est